Etre maçon au Moyen Âge

Dans l’imaginaire collectif, l’évocation du métier de maçon au Moyen âge renvoie spontanément à la noble tradition des tailleurs de pierre et des bâtisseurs de Cathédrales. Un âge d’or de la maçonnerie en quelque sorte. Mais que sait-on vraiment de la réalité du métier et de la vie de nos ancêtres maçons ? En fait beaucoup de choses, car l’histoire et la mémoire des grandes réalisations constructives de l’époque s’est transmise de génération en génération, jusqu’à nos jours. Mais aussi parce qu’à partir du 13e siècle, les tailleurs de pierre et maçons de métier se sont puissamment organisés dans des corporations, consignant avec rigueur leurs règles de fonctionnement et savoirs -faire. 

Maçons et tailleurs de pierre : une différence de classe

Un petit rappel chronologique et historique pour commencer…

Le Moyen Age correspond à une très longue période s’étalant sur 10 siècles entre la chute de l’empire romain (5e siècle) et la renaissance (15e siècle). Elle se caractérise autant par une succession de guerres, déferlements barbares et dévastations que par un extraordinaire élan bâtisseur. Plusieurs centaines de cathédrales, églises, châteaux forts, ponts et autres grands ouvrages ont ainsi été bâtis pour Dieu ou pour les Hommes, avec l’ambition de construire toujours plus vite, plus grand et plus beau.

Pour construire les maisons, les ouvriers de l’époque utilisaient principalement des matériaux simples et localement accessibles comme le bois, la terre ou la paille. L’utilisation de la pierre étant réservée aux grands bâtiments comme les châteaux ou les cathédrales.

Le terme de maçon n’est apparu qu’au 12e siècle dans un dialecte du Nord de la France. Dans les textes du Moyen Âge, les termes désignant le maçon et le tailleur de pierre sont parfois utilisés indifféremment. Sur les chantiers, leurs tâches sont en effet assez semblables et la polyvalence des bâtisseurs est fréquente. Pour autant, on savait parfaitement distinguer le maçon dit « supérieur », capable de tailler la pierre, du maçon « de moindre importance » dont les compétences se limitaient à la pose des pierres pour l’élévation des murs. De façon péjorative les tailleurs de pierre les désignaient d’ailleurs sous le terme de « coucheurs » ou « d’asseyeurs », du mot assise qui signifie lit de pierres.

Qui étaient les tailleurs de pierre au Moyen Âge ?

Leur travail consistait à donner sa forme à la pierre, autrement dit à la tailler en vue du travail des maçons. Les blocs qu’ils réalisaient pouvaient parfois intégrer des moulures et des ornementations. Leur lieu de travail habituel était le chantier de taille, situé soit en sortie de carrière, soit sur le site de construction. Les tailleurs de pierre étaient dans leur grande majorité des hommes « libres et sans attaches », recrutés selon leurs capacités par le maître d’œuvre ou le maître maçon qui dirige le chantier. Souvent mieux payés que les maçons, ils formaient en quelque sorte à la fin du Moyen Âge une aristocratie du bâtiment.

La tradition des corporations de métier

Si l’époque médiévale est aujourd’hui considérée comme l’âge d’or de la maçonnerie, c’est non seulement grâce aux bâtisseurs de cathédrales mais aussi en référence à l’apparition de puissantes corporations et autres confréries regroupant les ouvriers issus d’un même métier. Le plus ancien acte d'organisation pour les maçons en France, fait partie d’un livre des métiers rédigé en 1268 où il est question « des Maçons,Tailleurs de pierre, Plastriers et Mortelliers ». Ces corporations se caractérisaient notamment dès le 13e siècle par un ensemble de codes (les « coutumes ») et de traditions qui réglementaient leur travail mais aussi par une hiérarchisation bien distincte de statut entre Maîtres, Compagnons et Apprentis.

Redoutant les revendications des ouvriers ainsi groupés et structurés, les seigneurs ont essayé longtemps mais sans succès de les interdire ou du moins d’en limiter la puissance.

Une vie de travail très mobile, au rythme des chantiers, des saisons et du soleil

Du lever au coucher du soleil, les journées de travail du maçon de l’époque s’étiraient péniblement, calées sur le rythme solaire (d’où l’importance des cadrans solaires), plus longues et mieux payées en été, plus courtes en hiver. Dimanche étant le seul jour de repos hebdomadaire. Avec les intempéries et le risque de gel, beaucoup de chantiers de construction s’interrompaient en hiver. Mais avant de l’abandonner, les maçons veillaient à recouvrir le sommet des murs avec de la paille ou du fumier pour protéger les pierres et les joints des infiltrations d’eau de pluie.

Pointe à tracer, fil à plomb, équerre, compas … Maçons et tailleurs de pierre possédaient rarement leurs propres outils de travail à l’exception de quelques-uns. La plupart étaient en fait fournis par l’organisateur du chantier qui en assurait également l’entretien ou la réparation.

Un savoir-faire recherché

Tailleurs de pierre et maçons sont les artisans les plus demandés au Moyen Age et leur salaire pouvait représenter le tiers de celui d’un architecte maître d’œuvre. Les maçons étaient habituellement rémunérés à la tâche. La mesure du travail effectué se faisait en comptabilisant les marques (souvent des traces géométriques) apposées en signature sur la pierre par l’artisan. Les tailleurs de pierre quant à eux étaient rétribués soit à la tâche, grâce à leur signe distinctif gravé sur l’une des faces de la pierre taillée, soit au forfait à la journée ou à la semaine. A cela pouvaient s’ajouter des rations supplémentaires de nourriture, de vins ou de bois de chauffage.

D’un chantier à l’autre, une vie nomade

Au Moyen Âge, le maçon voyage au gré de son travail : entouré de ses compagnons, il prend la route à pied pour les chantiers qui embauchent, parfois situés à plusieurs centaines de kilomètres et dans toute l’Europe. Pour les chantiers de grands ouvrages comme les cathédrales ou les châteaux, à peine 5 à 10% des maçons et tailleurs de pierre sont originaires de la région. La plupart viennent de régions voisines, voire de l’étranger. Ils constituaient une main-d’œuvre mobile et créative, apportant non seulement leur force de travail mais aussi leur expertise et les nouveaux savoirs faire appris sur les autres chantiers.