Qui n’a pas assisté sur un chantier de construction ou vu les images d’une cérémonie de pose de la 1ère pierre ? Très protocolaire, elle réunit généralement quelques élus et notables locaux associés aux principaux intervenants du chantier. Parce qu’elle constitue l’acte de naissance symbolique d’une nouvelle construction, cette tradition n’échappait pas autrefois aux croyances religieuses et aux superstitions. Ancrée dans notre culture constructive, savez-vous d’où vient cette tradition de la première pierre et comment elle était pratiquée à l’époque de nos aïeux ? Et qu’en reste-t-il de nos jours dans la vie d’un chantier ?
La perpétuation d’une tradition constructive datant du Moyen Age
A l’origine, le rituel de la pose de la première pierre était associé à la consécration (appelée aussi « dédicace ») d’un édifice religieux. Marquée par une célébration liturgique, cette tradition apparaît à la fin du Xe siècle et se développe au cours des siècles suivants. Avec le temps, selon les pays et les coutumes locales, elle s’est transformée et généralisée à l’ensemble des nouvelles constructions d’importance. Qu’il s’agisse d’une église, d’une école ou tout simplement d’un immeuble d’habitation.
Pour certains bâtiments publics de prestige, il fut une époque où la première pierre était la « pierre d’angle », parce que c’était la première pierre à avoir été scellée lors des travaux d’édification. Parfois visible de l’extérieur même après la construction, la « pierre d’angle » portait ainsi une valeur symbolique forte, actée par une personnalité officielle lors de la cérémonie de pose. Pour la distinguer des autres, cette pierre pouvait contenir une inscription commémorative gravée, remplacée de nos jours par une plaque datant la naissance du bâtiment.
Pour l’histoire… Quelques exemples de cérémonies de la 1ère pierre en France et en Europe
Tradition presque universelle et intemporelle depuis le Moyen Age, la pose de la première pierre était marquée jusqu’au milieu du 20e siècle par des rituels de cérémonie présentant un caractère religieux et le plus souvent superstitieux. Voici quelques exemples étonnants :
- Dans le Morbihan, les ouvriers bretons pratiquaient un trou dans la première pierre pour y déposer une pièce de monnaie datée de l’année. Puis chaque ouvrier maçon, ainsi que le propriétaire frappaient la pierre d’un coup de marteau avant que l’un d’eux s’agenouille pour réciter une petite prière, demandant à Dieu de protéger la nouvelle construction. Le même ouvrier s’adressait à la pièce d’argent en prononçant les mots suivants : « Quand cette maison tombera, dans la première pierre on te trouvera, tu serviras à marquer combien de temps elle a duré ».
- En Belgique, dans la région de Namur, le propriétaire avait coutume d’asperger la première pierre avec une branche de buis, trempée dans l'eau bénite et qui était ensuite scellée dans le mur.
- Dans les Balkans ainsi qu’en Scandinavie, la légende raconte que pour assurer la solidité de certaines constructions, il fallait… y emmurer une créature humaine !
- Au 19e siècle, dans le Finistère, on ne bâtissait pas une maison sans en asperger les fondations avec le sang d’un coq.
- En Ecosse, on avait à l’époque l’habitude de frapper la première pierre avec la tête d’un poulet vivant, jusqu’à effusion du sang.
- En Grèce, certains maçons très superstitieux soutenaient que la première personne qui passera devant la 1ère pierre posée, mourra dans l'année. Pour conjurer ce funeste sort, ils avaient coutume d’y tuer dessus un agneau ou un coq noir…
Fort heureusement, les mœurs se sont adoucies depuis…
Au 21e siècle, une tradition plus « politique » transformée en opération de communication
Si la symbolique de la première pierre est toujours forte de nos jours, c’est qu’elle constitue l’un des premiers jalons événementiels rythmant la vie du chantier. Du moins lors de la construction des grands ouvrages publics ou privés. Pour autant, ce que l’on appelle la pose de la 1ère pierre est désormais sur le plan local une belle opération de communication.
Fortement médiatisé, l’événement réunit en général les élus de la ville, de la région, voire de l’Etat pour les grands chantiers de prestige. Il associe également les principaux protagonistes du chantier : maître d’ouvrage, architecte, bureau d’étude, entreprise de construction….
La cérémonie s’articule symboliquement autour d’une pierre, mais qui n’est généralement pas la première du chantier. Lorsque la tradition est respectée, chacun des principaux intervenants verse du ciment dans un bloc de maçonnerie du futur bâtiment. Puis comme autrefois on y glisse un parchemin daté et signé où sont mentionnés les noms des différents acteurs du projet. Le document est parfois accompagné d’un plan d’architecte, ou d’un objet symbolique lié à l’année de construction ou à la fonction du bâtiment.
Petit conseil de maçon au passage : pour le scellement du parchemin dans la pierre on utilisera plutôt un ciment à prise lente.
Perdure ainsi la tradition médiévale voulant que si l’édifice fait l’objet dans le futur d’une rénovation ou d’un agrandissement, les prochaines générations pourront retracer l’origine et l’histoire du lieu… On retiendra enfin que lors de la pose de la fameuse première pierre, il est coutume d’offrir au plus illustre invité une truelle (ou autre outil de maçonnerie), gravée et placée sous un dôme en plexi, sur un socle ou dans un luxueux coffret.
Alors, qui a dit que les traditions se perdaient ?